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Les cadres sont épuisés par la crise !

Comment la crise, qui dure depuis quatre ans, joue-t-elle sur le moral des cadres ?

Eric Albert : D'abord la peur est là. L'incertitude sur l'avenir, l'angoisse de perdre leur job... Cela conduit les cadres à n'agir que dans le but de sécuriser leur situation, c'est-à-dire  concrètement à ne plus prendre d'initiatives. Cette période est d'ailleurs moins bien vécue par les cadres français, qui mettent plus volontiers d'émotions au travail, que par les Anglo-Saxons, plus habitués à garder leurs distances...

Comment leur stress se manifeste-t-il ?

D'abord, les cadres sont épuisés. Physiquement et moralement. Les impératifs de résultats, le resserrement des budgets pour des objectifs inchangés les poussent à travailler de plus en plus. Parfois jusqu'à entrer dans des états dépressifs ou à connaître des burn-out.

Ils se sentent pris au piège ?

Comme toujours dans ces moments de crise, le rapport de forces avec l'entreprise devient très déséquilibré. L'employeur est dans une situation de toute-puissance dont il abuse volontiers. Pour les salariés, la marge de négociation s'amenuise. Car ceux que la direction a vraiment envie de retenir sont de moins en moins nombreux.

Comment évoluent les relations avec la hiérarchie ?

Tout dépend de la capacité psychologique des dirigeants à gérer leur propre anxiété. Le plus souvent, ils ont peur de perdre la maîtrise des événements, et réagissent en rajoutant à leurs subordonnés de nouvelles obligations de reporting. Ils se donnent ainsi l'illusion du contrôle. Certains cades, qui ne devaient rendre compte qu'une fois par semaine ou une fois par mois doivent maintenant le faire...tous les jours ! Ce qui provoque chez eux malaise et frustration. Certaines grandes multinationales américaines ont aussi eu tendance à recentraliser les décisions, privant ainsi leurs filiales françaises, autrefois assez autonomes, de toute capacité d'initiative. Ce qui est très démotivant.

Y a-t-il des exemples vertueux ?

Oui, les dirigeants plus avisés font au contraire en sorte que les niveaux hiérarchiques inférieurs intériorisent les contraintes et les enjeux de la crise. Et au lieu de tout diriger d'en haut, ils font descendre le niveau de décision le plus près possible du terrain.

Comment les cadres vivent-ils la présidence de Hollande ?

Au-delà de leur situation fiscale personnelle, ils sont perturbés par le fait que François Hollande se soit attaqué de front à la symbolique de l'enrichissement. Comme si, en France, le mot " riche " était devenu une insulte... Beaucoup de directeurs de ressources humaines du CAC 40 me signalent d'ailleurs que leurs jeunes cadres à haut potentiel réclament, de ce fait, d'aller faire carrière à l'étranger !

 

Dominique Nora, Le Nouvel Observateur

 

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