expand

Quand le chef souhaite être contredit

Il y a quelques semaines s'est tenue la convention du fonds de Warren Buffett, grand événement qualifié de « Woodstock de la finance ». A cette occasion, l'oracle d'Omaha a invité son opposant le plus farouche, Doug Kass, patron de fonds qui joue à la baisse celui de Buffett. Kass a pu poser ses questions et exprimer son opinion opposée à celle de Buffett devant tout le monde. Au-delà de l'aspect spectaculaire, il est probable que le vieux sage de la finance livre l'un de ses secrets : les opinions différentes des siennes l'intéressent, voire même lui sont indispensables.

Cette anecdote est de nature à faire réfléchir tous les dirigeants. Certes, chacun d'entre eux déclare volontiers qu'il est favorable au débat et à la contradiction, mais, dans la réalité, le chef est rarement contredit. Pis, bien souvent parce qu'il a exprimé un souhait, celui-ci est interprété et mis en oeuvre dans l'idée de lui plaire, même s'il s'avère que ce n'est pas adapté au terrain.

Progressivement, tous les chefs, s'ils ne l'organisent pas, voient s'atténuer les oppositions à leurs prises de position. Ils en prennent l'habitude sans même s'en rendre compte. Les uns s'en accommodent, car les choses semblent aller plus vite, directement au but, sans palabres apparemment inutiles. D'autres peuvent avoir le sentiment qu'en agissant ainsi ils évitent de se laisser prendre dans les jeux politiques de leurs collaborateurs. Toute l'entreprise vit au rythme des « le chef a dit… ».

Les risques sont connus. D'abord celui de ne pas remonter les informations qui pourraient aller à l'encontre de la conviction du chef, donc de le laisser s'enfoncer dans l'erreur. Ensuite, d'avoir des chefs tellement habitués à ce qu'on ne les contredise pas qu'ils perdent leur capacité à douter et à se remettre en cause. Progressivement, tout le monde y trouve son compte. Le chef dans sa toute-puissance et les collaborateurs dans l'absence de prise de risque. Jusqu'au jour où une crise liée à une erreur ou au manque de renouvellement et d'ouverture provoque son départ.

Cultiver la remise en cause est une hygiène de vie comme la pratique d'un sport. Il faut s'y astreindre avec discipline si l'on ne veut pas se rouiller.