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Convention annuelle

Tous les cadres supérieurs sont présents pour l’occasion. Rituellement, le président commence par son introduction. Cette année, le ton est grave. La crise a un impact sur les résultats et il va falloir faire de nouvelles économies. Celles-ci sont présentées par le directeur financier qui détaille tous les chiffres. Cette pénible séquence afflige et assoupit les participants. Puis viennent les différentes entités qui décrivent leur plan stratégique. Derrière cette appellation pompeuse, chacun précise comment, concrètement, les économies vont être réalisées. Ceux qui avaient survécu à l’intervention du financier ont, pour la plupart, décroché. Peu à peu, chacun consulte sa petite machine de poche, d’abord discrètement puis sans aucune retenue. C’est finalement l’annonce de la pause qui fait lever le nez de tous. Autour du café, le plaisir de se retrouver entre collègues est visible, tout en évitant soigneusement de parler du sujet de la convention pour ne pas gâcher ce moment de convivialité. Les plus hypocrites glissent un mot de félicitations aux intervenants. Mais il faut faire vite car déjà les hôtesses invitent à revenir en session. Nouveau tunnel de présentations qui laisse la salle dans une douce torpeur. D’ailleurs, le moment des questions est particulièrement peu participatif. Enfin, arrive la conclusion du boss qui dit compter sur l’engagement et la motivation de tous pour atteindre les objectifs. Applaudissements et chacun rentre dans son entité, impatient de rattraper le retard. Rares sont les conventions qui produisent l’effet que les dirigeants souhaiteraient. De fait, lorsque ceux-ci les préparent, ils commencent par réfléchir à ce qu’ils veulent dire aux équipes. C’est ainsi qu’ils les gavent d’informations trop nombreuses pour être assimilées. Et chacun des orateurs fait de même. Or en fait, ce qu’ils voudraient produire, ce sont des émotions. Selon les cas, ils attendent que les équipes ressentent de l’envie, de la fierté, de l’élan ou parfois de l’inquiétude. Tout le discours, la forme, le ton et la dramaturgie de la convention doivent être construits en fonction de cet effet attendu. Les émotions ne se prescrivent pas, elles se provoquent. Dire à ses collaborateurs qu’ils doivent être motivés est inutile. C’est le fait des managers qui se dispensent de se questionner sur leur impact et prescrivent aux autres ce qu’ils doivent ressentir.