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Les sacrifiés de la priorisation – Eric Albert

Dans l’exercice budgétaire compliqué que le gouvernement a à mettre en place, la principale difficulté est de faire un véritable exercice de priorisation. Décider ce qui est absolument essentiel n’est pas le plus difficile. En revanche supprimer ce qui ne l’est pas pose plus de problèmes. L’expérience américaine du Doge montre qu’il ne suffit pas d’avoir de la détermination et que la brutalité ne résout rien.

Dans l’entreprise, prioriser est une nécessité permanente. Mais cela reste un exercice difficile. Comment dire à ses équipes qui se sont investies depuis des années sur des projets qu’on a décidé de les arrêter ? Au moment où ils ont été lancés, le management a mis toute l’emphase nécessaire pour montrer aux équipes combien c’était important. Souvent les acteurs s’y sont investis. Les arrêter est au minimum une déception, et au pire un sentiment de gâchis et de vide associé à de la colère.

Mais personne n’y porte attention. La priorisation est justifiée par l’intérêt général. Les leaders, sûrs de leur fait, peuvent expliquer le rationnel des choix qui sont faits. Mais ce rationnel ne prend pas en compte le vécu de ceux dont la priorisation balaye l’investissement personnel. Projeté dans le futur, le leader re-déploie ses ressources avec, au mieux, un mot de réconfort. Ailleurs, ceux qui ont une proximité avec les équipes savent la déception qu’ils vont provoquer et ne passent pas de message clair. Les projets ne sont plus prioritaires mais pas arrêtés pour autant. Les équipes continuent, mais en ayant moins de temps. Leur implication en est démultipliée car c’est leur motivation intrinsèque qui les porte. On les laisse faire tout en sachant que cela n’aboutira jamais.

La priorisation, qui suppose des renoncements, provoque des frustrations. Tous ne sont pas égaux face à l’intérêt collectif. Certains sont clairement sacrifiés. Et il est juste de le reconnaître et de leur accorder une attention particulière. Au risque de créer un ressentiment. Mais surtout de montrer à tous les autres qu’il n’y a pas de reconnaissance vis-à-vis de ceux auxquels on demande de faire passer l’intérêt collectif avant l’individuel. Dès lors ne soyons pas surpris de constater une montée de l’individualisme.

Pour prioriser, il faut de la vision stratégique et du courage. Mais il est aussi nécessaire de donner le sens général de l’intérêt collectif et l’attention particulière à ceux qui vont être les plus exposés et les plus touchés.