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Quand l’émotion aveugle - Eric Albert

Nous saurons dimanche si le RN atteint le score promis par les sondages, soit presque deux fois mieux que le suivant. Pourtant les débats ont montré les incohérences et les failles de son programme. C’est comme si les arguments rationnels glissaient sur les électeurs comme l’eau sur les plumes du canard. L’émotion domine. Déception, colère, d’un côté, espoir, envie de changement de l’autre. Arc en ciel émotionnel couronné par la formule absurde : on n’a pas encore essayé le RN.

Dans l’entreprise aussi, il arrive que l’accumulation de la charge émotionnelle, conduise les acteurs à sortir de la rationalité. Les émotions très banales comme la peur du chef ou l’agacement entre collègues, peuvent à la longue, enfermer les acteurs. Ils ne raisonnent plus, ils réagissent, mus par la nécessité d’échapper à une émotion pénible. Ainsi les chefs qui montrent qu’ils ne veulent pas être surpris mais flattés, induisent des réponses attendues à leurs interrogations. Leurs collaborateurs ne réfléchissent plus, ils s’adaptent à leur attitude.

Si l’émotion est une ressource indispensable qui donne de l’énergie et nourrit la créativité, elle peut aussi enfermer les acteurs sur eux-mêmes. Elle conduit à réagir de manière automatique comme si elle obstruait la capacité de jugement. Les individus en répétant le même fonctionnement s’approprient un raisonnement auto-justificatif. Dès lors il est plus difficile de les faire changer.

Personne n’est à l’abri de ce risque de réactions émotionnelles et d’aveuglement. C’est moins vrai en entreprise qu’ailleurs car c’est le lieu du questionnement permanent et de la remis en cause répétée. Encore faut-il veiller à les pratiquer.

C’est pourquoi il est utile de repérer les réactions émotionnelles et les populations crispées dans des postures rigides. En ouvrant l’échange, sans chercher à les convaincre mais en partant de leurs émotions et perceptions, on peut mieux appréhender les mécanismes des blocages. Pour avoir une chance de les faire évoluer, il faut renoncer à leur montrer qu’ils ont tort mais leur faire prendre du recul sur ce qu’ils ressentent et ce qu’ils pensent. L’alternance du questionnement et de la reformulation ouvre la voie à une prise de recul. Elle peut être l’occasion d’introduire de la nuance par rapport à des positions tranchées.

Les dirigeants eux-mêmes ne sont pas à l’abri de tels aveuglements. Souvent sur impliqués, leur charge émotionnelle peut être forte. La question qui se pose pour eux est de qui ils acceptent ce questionnement qui leur permettrait de prendre du recul.