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Prendre du recul – Eric Albert

J’imagine les soupirs à la lecture du titre de cette chronique. Le sujet semble par essence ennuyeux. Beaucoup préfèreraient parler d’action, d’accélération, de leadership. Hommage donc à ceux qui persistent tout de même. C’est justement parce que le contexte est dominé par une accélération du rythme des événements et que s’y ajoute une atmosphère de plus en plus insécurisante que le sujet trouve une actualité. On parle maintenant de monde BANI (brittle-fragile, anxiogène, non-linéaire, incompréhensible). La réaction dans ce contexte pour la plupart des leaders est de s’immerger dans l’action. Car agir est rassurant, c’est une stratégie classique face à l’anxiété. Elle offre de plus l’avantage de capter l’attention de l’acteur. Mais dès que l’action s’arrête les capacités d’attention s’évanouissent (voire le niveau d’attention lors des réunions). Le résultat est que les agendas sont pleins. Pire, si un rendez-vous se libère, chacun, soit se précipite pour réduire son retard de courriels, soit surfe sur les réseaux ou les sites d’informations sur lesquels il a ses habitudes.

Outre l’épuisement et le sentiment de remonter sans fin la pente tel Sisyphe, le risque est double : perdre sa propre agilité personnelle et ses capacités d’adaptation, et ne pas pouvoir mener les changements nécessaires pour l’organisation.

L’action polarise sur des pratiques connues, répétées et certes améliorées, mais ne permet pas les changements imposés par les évolutions du contexte. C’est pourquoi la prise de recul est nécessaire. Elle doit se pratiquer de deux façons. La première concerne la capacité à s’auto-observer pour mieux comprendre ses automatismes et ses modes de réactions aux événements. Les émotions en sont la porte d’entrée. Elles sont autant d’alertes qui conduisent à l’auto-vigilance. Car sous l’emprise de l’émotion, chacun devient une caricature de lui-même.

L’autre façon de prendre du recul consiste à se ménager des plages de temps pour réfléchir. Deux obstacles principaux. D’abord éliminer des tâches : on a toujours l’impression d’être indispensable. Ensuite savoir quoi faire pendant ce temps libéré. Il est recommandé de se tenir à distance de tout appareil digital afin d’éviter la tentation de rattraper son retard ou de remplir le vide. Ensuite, il faut hiérarchiser les sujets qui méritent réflexion. Sur chaque sujet, il est important d’avoir un but à sa réflexion, de clarifier à quoi elle doit aboutir, répondre à quelles questions. Enfin, il faut trouver des interlocuteurs pour confronter l’état de sa réflexion.

Avoir de l’avance c’est avoir réfléchi, encore faut-il en prendre le temps.