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Ne pas savoir que l’on n’est pas d’accord

Une fois de plus, la passe d’armes pendant la réunion du comex s’est faite à fleurets mouchetés. D’un côté, le tout nouveau CDO (chief digital officer), qui défend un modèle beaucoup plus intégré ; de l’autre, le directeur opérationnel, qui rappelle que la subsidiarité fait partie des principes de management du groupe et qu’il est important de laisser de la marge de manoeuvre aux équipes. Le boss va conclure en insistant sur l’enjeu digital que doit relever le groupe et en rappelant à quel point il est persuadé que la responsabilisation des managers de terrain reste le principe de base du management. Tout le monde se quitte content, persuadé d’être sur la même ligne. Mais il n’en est rien. Derrière cette unité de façade demeurent de profonds malentendus. Pour l’un, le digital change le modèle de création de valeur en rendant les acteurs beaucoup plus interdépendants les uns par rapport aux autres. Pour l’autre, ce qui fonctionne ce sont des entités opérationnelles les plus autonomes possible, qui, en échange d’une grande liberté d’exécution, doivent rendre des comptes sur leur rentabilité. Les questions de fond ne sont pas abordées. Elles pourraient être les suivantes : « En quoi la responsabilité du terrain change ? », « Comment chacun apporte de la valeur ajoutée à l’ensemble autrement que par la “simple” rentabilité de son entité ? », « Comment sensibiliser à cette nouvelle donne et susciter l’envie d’y participer ? » Comme ce débat n’a pas lieu, chacun des dirigeants suit sa logique et avance pour la mettre en oeuvre. Bien sûr, ce sont les équipes opérationnelles qui auront à résoudre les contradictions. On leur dira : « Prenez vos responsabilités ! Osez les initiatives » et, en même temps, « Conformez-vous aux instructions centralisées ». Le résultat est établi : beaucoup de tension et d’incompréhension, une perte de sens progressive et un repli général, chacun étant plus préoccupé de se préserver que de contribuer à la réussite de l’ensemble. Les dirigeants ont davantage de raisons de ne pas se mettre d’accord que de s’entendre. Cela leur évite des débats parfois longs, des divisions qui peuvent devenir conflictuelles, et l’obligation de faire changer leurs équipes. C’est pourquoi, plutôt que de débattre du fond, ils préfèrent bien souvent s’immerger dans l’action. Avec la satisfaction, à court terme, d’avoir été utiles.