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La vie privée des salariés – Eric Albert

L’éviction brutale du patron de Nestlé pour avoir eu une relation amoureuse avec une collaboratrice du groupe, pose la question du rapport entre la vie privée et la vie professionnelle.

Dans beaucoup d’entreprises anglo-saxonnes le code éthique interdit toute relation amoureuse entre salariés d’une même entreprise (indépendamment de toute relation de pouvoir). On peut s’interroger sur les justificatifs de cette morale. Est-il immoral de tomber amoureux ? Certes non, mais les tenants de cette règle feront valoir que l’amour rendant aveugle, il biaise les échanges professionnels. Ce n’est pas faux, mais c’est aussi vrai de toute relation affective. Ce n’est pas parce que dans une relation amicale, il n’y a pas de relation sexuelle qu’elle n’en altère pas moins le jugement. Et que dire des relations de dépendance de certains collaborateurs vis-à-vis de leur chef ? Il n’est pas rare de voir un soutien sans faille entre deux protagonistes au-delà de toute rationalité. Sans pour autant qu’il n’y ait de relation sexuelle entre eux.

Au-delà de la sexualité, la question de l’interférence de l’entreprise avec la vie privée des salariés, se pose. Avec les meilleures intentions du monde, l’entreprise peut être amenée à influer sur l’activité sportive, la santé, le soutien psychologique, la sécurité (port du casque à vélo), les vacances, l’aide à l’éducation des enfants, les maltraitances conjugales, etc. Chacun y trouve son compte. L’entreprise, qui a ainsi des collaborateurs parfaitement disponibles pour leur travail, et ces derniers, qui apprécient les supports de toutes sortes. On peut s’interroger sur les effets de ces interactions et notamment sur la dépendance induite.

L’individu au travail est un être affectif. Il crée des liens car c’est un des facteurs de plaisir et de satisfaction au travail. C’est d’ailleurs l’un des problèmes du télétravail qui favorise l’isolement et la désocialisation. L’entreprise sait à quel point cette dimension affective est essentielle et nourrit la motivation. Attention donc à cette hypocrisie qui consiste à d’une part tout faire pour s’attacher affectivement ses salariés, et d’autre part établir des codes éthiques qui sont dans le déni de cette dimension.

Il est indispensable d’avoir des règles pour écarter toute manipulation, pression, abus de pouvoir et harcèlement. Mais il est aussi important de respecter la vie privée des salariés. Certes, elle interfère avec leur vie au travail. Mais ce n’est pas une raison pour chercher à la canaliser ou à la réguler.