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Connaître le terrain - Eric Albert

De plus en plus souvent les tensions, surtout lorsqu’elles touchent des populations exaspérées, s’expriment par une explosion de violence. C’est le cas en Nouvelle Calédonie après les banlieues parisiennes l’été dernier et les gilets jaunes il y a quelques années. Un évènement ou une décision prise en central allume le feu aux poudres. À chaque fois cette décision a son rationnel mais elle ne prend pas en compte l’état émotionnel des acteurs concernés.

Si la situation est bien différente en entreprise, les dysfonctionnements du politique n’en demeurent pas moins éclairants. Le risque permanent est double. Le goût pour les dirigeants de centraliser la décision pour garder, le plus possible, les cartes en main. Associé à une grande distance avec le terrain. L’un entraîne l’autre. Plus les décisions se prennent par le haut moins les dirigeants ont le temps de passer du temps à la rencontre des acteurs. Encombrés par une multitude de dossiers, ils tranchent sur la foi d’informations indirectes, pressés par le système qui dépend d’eux. Impossible de faire autrement dans les grandes organisations. Nécessairement le dirigeant prend ses décisions en faisant confiance à ce qui lui est remonté.

Mais pour éviter d’être lui-même hors sol et de se faire piéger par la multiplicité des sujets mal maîtrisés, le dirigeant a trois leviers. D’abord, il doit veiller à faire remonter le moins possible de décisions à son niveau. Ce qui exige une très grande discipline personnelle car, s’il est là, c’est qu’il aime décider. Concrètement, cela suppose régulièrement de renvoyer aux acteurs la responsabilité de trancher. Ensuite, il doit systématiquement utiliser l’intelligence collective pour que les sujets soient explorés de façon contradictoire. Ceux qui ont des points de vue radicalement différents sont par essence précieux. Encore faut-il prendre le temps de les écouter en les questionnant. Enfin les dirigeants doivent régulièrement aller sur le terrain pour écouter. Attention aux visites organisées où tout est fait pour ne pas avoir d’échanges directs avec les acteurs locaux. Aller sur le terrain n’a d’intérêt que par la compréhension que le dirigeant peut capter de la réalité qu’il rencontre.

Un dirigeant est toujours en risque d’être décalé de la réalité des populations qu’il gère. Et comme son temps est son bien le plus précieux, il peut facilement se laisser convaincre que d’autres sont là pour lui remonter ce qu’il doit savoir. Rien ne remplace les plongées profondes dans les méandres de l’organisation pour se rendre compte par lui-même.