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Le leader fragile – Eric Albert

Sébastien Lecornu a déclaré être le Premier Ministre le plus faible de la Cinquième République. Mais a-t-il pris la position de négociation conforme à cette fragilité ? À l’évidence non car, alors qu’il dépendait des partis d’opposition, il n’a pas trouvé de compromis et a fini par remettre sa démission.

En entreprise le rapport de force est inversé. Si le manager n’arrive pas à convaincre ses équipes, il dispose de moyens de pression pour faire appliquer tout de même ses décisions. Dès lors, la facilité est de se passer de l’étape conviction pour passer au plus vite à celle de la mise en œuvre. À court terme cela fonctionne. Les acteurs se plongent dans l’action et exécutent ce qu’on leur demande. Cela conforte le chef dans sa tendance à être directif et à affirmer sa puissance. Puissance qui l’enferme progressivement sur lui-même.

À l’inverse la fragilité rend perméable aux autres. Plus question de les ignorer car on a besoin d’eux. Plus encore, alors que la puissance pousse à reproduire ce qu’on sait faire et rester dans sa zone de confort, la fragilité rend plus créatif. Elle pousse à prendre plus de risques, à s’exposer, à tenter de nouvelles pistes.

Est-ce que pour autant, il faut des individus fragiles pour faire de bons leaders ? Compte tenu des secousses et de la somme des problèmes à régler, probablement pas. La solidité est évidemment une qualité essentielle. Mais elle ne doit pas être monolithique, globale. La solidité permet, notamment, de faire face aux événements de la vie quotidienne et de tenir sa position dans des périodes de tensions fortes. Pour autant, si les failles, les fragilités du leader sont totalement masquées, y compris pour lui-même, il perd sa capacité à être touché, à douter, à être déstabilisé.

Les fragilités sont des portes d’entrée qui invitent à la remise en cause. Ces fenêtres qui ouvrent sur le monde, percutent les certitudes et introduisent le questionnement. Elles activent de nouvelles émotions autres que celles de la satisfaction liée au pouvoir, au contrôle et à la capacité à s’imposer.

Le leader accompli ne doit pas seulement résister à l’hubris qui est l’expression caricaturale de la toute-puissance. Il faut aussi qu’il accepte, voire qu’il cultive certaines fragilités qui le relient au monde autrement que par sa position et son statut.

La fragilité du Premier Ministre aurait pu être un atout pour lui permettre de négocier autrement que ses prédécesseurs. Il n’a pas su l’utiliser.