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Un homme, ça s’empêche – Eric Albert

Trump et son équipe rapprochée se sont fait une spécialité de n’avoir aucune limite dans le vocabulaire qu’ils utilisent. Ainsi les insultes fusent à tout propos et sur tous ceux qui s’opposent à eux. Cette particularité, qui est partagée avec les dictateurs, pourrait paraître anecdotique ou pittoresque. Il n’en est rien, elle révèle un passage à l’acte verbal des plus inquiétants. À travers ces propos, s’exprime la volonté de balayer ou de réduire au silence ceux qui expriment un désaccord.

En entreprise, les excès verbaux sont plus rares. Même s’il arrive que des personnalités utilisent les excès de langage pour prendre l’ascendant sur leurs interlocuteurs. Tant dans le vocabulaire utilisé que dans le ton de la voix, ils impressionnent et jouent de l’effet qu’ils produisent. Et ça marche avec une partie de leur entourage qui préfère éviter le conflit. Parfois, le choix du vocabulaire n’est pas brutal mais dans la menace implicite.

Ces excès verbaux sont toxiques car ils décrédibilisent la pratique managériale. Comment continuer à mettre en avant le travail collaboratif si on tolère les dérapages verbaux des uns ou des autres ? Leur toxicité est aussi liée à l’invitation implicite faite à l’entourage d’imiter le chef. Chacun contribue à l’outrance verbale. Or la libération de la parole conduit, libère le passage à l’acte. A force de dire que les élections étaient truquées, il paraissait logique de marcher sur le Capitole. À force d’exprimer qu’une entité rivale est nulle, il devient évident de ne pas l’informer voire de prendre une partie de ses prérogatives. Les paroles du chef sont libératrices pour ses équipes qui se sentent autorisées à faire tout ce qui leur parait être ses souhaits.

Chacun se révèle à travers le choix de son vocabulaire. L’une des meilleures façons de comprendre un individu consiste à analyser la façon dont il s’exprime. Les paroles ne dépassent pas la pensée, elles l’expriment à un moment précis.

« Un homme, ça s’empêche » (considérons que c’est aussi vrai pour les femmes). Cette formule de Camus exprime que la civilisation, qui permet aux individus de cohabiter en paix, repose sur la capacité de chacun de se contrôler et de se restreindre. Pas seulement dans ce qu’il fait mais aussi dans ce qu’il dit. Tout dirigeant qui ne s’approprie pas cette formule, encourage chacun à l’expression des pires bassesses. Ce n’est pas parce que le président des États-Unis le fait, qu’il faut l’imiter.