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Le dur et le mou - Eric Albert - Les Echos

L'activité noble est la stratégie. Réfléchir aux grandes orientations, les mettre en perspective face aux évolutions du marché, trouver un positionnement par rapport à la concurrence, redéfinir le périmètre de l'entreprise en se séparant de certaines activités et en en achetant d'autres. Puis, mettre en oeuvre cette stratégie en prenant les décisions au quotidien, en tranchant pour donner les orientations. Voilà ce que les dirigeants aiment faire. Ils ont le sentiment de faire avancer les sujets de fond et de jouer sur le cours des choses. Ils manient des matières intellectuelles et techniques et utilisent toute la virtuosité qui leur a fait réussir de brillantes études. Après, il faut mettre en oeuvre. Et pour rester dans le dur, ils se centrent sur l'organisation, les processus, la gouvernance. Ainsi, la mécanique de fonctionnement est réglée comme une horlogerie.

Vient ensuite la gestion au quotidien. La réalité reprend ses droits et s'exprime au travers des individus. Plus question de rester dans les concepts et la technique, il faut faire avec des hommes et des femmes qui ne sont ni prévisibles ni manipulables comme une mécanique.

Pour cela, les dirigeants ont besoin de compétences qui viennent de sciences molles - pour éviter cette expression déplaisante on se tourne vers l'anglais qui utilise « soft skills ». Et là, chacun fait comme il peut. Après être passés par de nombreuses formations de toutes sortes, allant de la méditation en pleine conscience au « media training » en passant par le séminaire « Résoudre les conflits », les uns et les autres se débrouillent en combinant le peu qu'ils en ont retenu avec leurs traits de personnalité…

Le risque est de garder ce clivage. Mais surtout, de penser de façon stratégique le champ dans lequel on se sent à l'aise et d'agir de façon purement intuitive dans le champ de l'humain. Plus que jamais, dans notre contexte, la cohérence interne à l'entreprise est au coeur de sa performance. Cela suppose de penser les comportements des acteurs, le style relationnel, l'état d'esprit que l'on souhaite voir adopter. Comme toute approche stratégique, il s'agit de comprendre, de faire des choix et d'être rigoureux dans la mise en oeuvre. Comprendre, c'est identifier en quoi les comportements qui correspondent à une logique du passé pourraient faire échouer dans le futur ; décider, c'est choisir quatre ou cinq comportements cibles que tous doivent adopter pour être en lien avec les enjeux stratégiques. La mise en oeuvre nécessite d'aider les acteurs à faire évoluer leurs mentalités et leurs comportements, et surtout de veiller à ce que tous les systèmes d'évaluation et de promotion soient cohérents avec ce que l'on déclare attendre d'eux.

Et après ?

L'art de diriger repose sur la capacité à avoir des approches stratégiques tant sur le business que sur la culture interne. Mais, surtout, de faire en sorte que l'une et l'autre se répondent. C'est ainsi que l'on peut donner du sens aux efforts d'adaptation demandés à chacun. En liant le dur et le mou, l'entreprise devient plus souple et plus adaptable.