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Droit à l'erreur - Eric Albert - Les Echos

Comprendre une erreur, en tirer un enseignement, c'est mettre à jour les mécanismes de la décision et de son évaluation dans le temps.

Lors d'un récent sommet économique, l'une des questions posées à trois de nos patrons les plus emblématiques concernait leurs erreurs. Chacun a volontiers cité des projets engagés qui se sont révélés des échecs et ont facilement reconnu qu'ils en étaient sinon à l'origine au moins les décisionnaires finaux. Le « droit à l'erreur » est un thème à la mode. Même le gouvernement s'en est emparé pour en faire une loi. Logique : pour qu'il y ait droit, il faut qu'il soit porté par une loi. 

Pas une réunion de managers sans que ce « droit à l'erreur » n'émerge comme une revendication. Et donc les patrons montrent qu'ils se l'appliquent à eux-mêmes, ce qui laisse supposer qu'ils l'acceptent chez les autres. En fait, il est assez curieux de considérer l'erreur comme un droit. Un droit, comme les congés payés ! Les salariés, confrontés à leur échec, pourraient faire valoir leur droit à l'erreur. L'erreur ne se situe pas dans le registre du droit mais dans le champ du fonctionnement normal de chaque individu. Dès lors pourquoi est-il nécessaire d'inscrire dans le droit ce qui se produit de toutes les façons ? En général, ce « droit » à l'erreur est immédiatement assorti d'une limitation : celle de « ne jamais commettre deux fois la même ». 

La question à poser aux dirigeants est donc de savoir ce qu'ils ont tiré comme leçons de leurs erreurs. L'un d'entre eux a dit : « Nous étions trop en avance sur ce projet ». Cela signifie-t-il qu'il renonce à être en avance ? Comment abordera-t-il dans le futur les projets innovants ? Comprendre une erreur, en tirer un enseignement, c'est mettre à jour les mécanismes de la décision et de son évaluation dans le temps. Des mécanismes individuels et collectifs sont presque toujours à l'oeuvre. Avancer sur le plan individuel, consiste à identifier, au moins partiellement, les raisons sous-jacentes qui ont guidé la décision. Ce sont rarement celles que l'on met en avant spontanément. De plus, comme une décision est souvent le résultat d'une interaction entre plusieurs acteurs, le jeu relationnel et la posture des uns et autres a une influence dans la production d'erreurs.

Et après ?

L'erreur est un mauvais moment que l'on évite plutôt que de creuser. Elle mobilise des émotions négatives au premier rang desquelles la culpabilité. Il est tellement plus confortable de se plonger dans l'action plutôt que de décortiquer ce que l'on a mal fait. Si le terme de droit est impropre en revanche, celui de devoir a toute sa place. Le devoir de s'arrêter pour réfléchir avec les acteurs concernés de ce que l'on apprend de l'erreur. On décodera comment, le rapport au temps, la prégnance de certaines préoccupations, l'incompréhension entre les acteurs et bien d'autres paramètres, conduisent à se tromper. Tant mieux, se tromper est utile et même indispensable pour progresser. Oublions donc les droits et mettons en avant les devoirs. Devoir de se tromper et devoir d'utiliser ses erreurs pour avancer.