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L’injonction à la bêtise

« Passer en force » est de plus en plus problématique. Si ceux qui le font encore y voient des avantages, la plupart du temps, ce sont les inconvénients qui dominent – énergie déployée à résister, temps passé à contester, tensions entre les acteurs, résistance passive, etc. En somme, ce que l’on essaie d’éviter pour préserver l’efficacité de l’entreprise. De ce point de vue, la loi El Khomri est un exemple très illustratif. En présentant un projet complexe et inattendu pour une grande partie de l’électorat, tout en menaçant d’emblée de passer en force, toutes les conditions étaient réunies pour provoquer les difficultés actuelles. L’enchaînement qui conduit à une telle situation se retrouve souvent en entreprise. Les dirigeants voient les problèmes de façon globale, mûrissent leur réflexion et se font une conviction sur les solutions. Puis, étant passés par toutes ces étapes, ils sont impatients de faire évoluer les choses au plus vite. Mais en face d’eux, leurs interlocuteurs n’ont pas commencé le chemin. Ils demandent à comprendre, élaborent, contestent, s’inquiètent des conséquences… Tout ce qui peut être considéré comme de la résistance au changement par les dirigeants. Confrontés à ces réactions, ces derniers s’agacent et, prétextant la nécessité de rapidité d’action, sont tentés de passer en force. Pourtant, l’efficacité collective durable se nourrit de l’adhésion des acteurs. Cela suppose de laisser à ceux-ci le temps de l’appropriation, c’est-à-dire de prévoir un cheminement qu’il faut organiser et encadrer. La démarche implique d’abord de partager un diagnostic de la situation et de ses conséquences, puis de communiquer sur la finalité recherchée, pour, ensuite, discuter des solutions envisagées. Le temps à y consacrer met d’autant plus à l’épreuve l’impatience du dirigeant que ce dernier sait qu’il n’embarquera pas tout le monde, ce qu’il peut considérer comme une mise en échec de ses capacités de conviction. Dès lors, la tentation autoritaire revient. Or, l’autoritarisme du chef est une injonction implicite à la bêtise de ses équipes, laissant entendre : « Puisque vous n’êtes pas capables de réfléchir, je le fais à votre place, suivez-moi (bêtement). » Une telle attitude comporte deux risques : le premier est qu’il soit exaucé au-delà de ses espérances ; le second que cela le conforte dans ses pratiques autoritaires.