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Le comportement des boards - Eric Albert - Les Echos

L'affaire Weinstein prend une dimension inattendue. Certes, comme précédemment avec l'affaire Baupin, au-delà de la gravité des faits, on est étonné par le nombre de personnes qui étaient au courant du comportement déviant du producteur de Hollywood sans que cela n'ait été rendu public. Des dizaines, probablement des centaines de témoins indirects se sont tus pendant des années. Depuis que l'actrice Rose McGowan met en cause les actionnaires de Weinstein Co et donc leurs représentants, cette affaire concerne maintenant la vie des entreprises.

Faisons l'hypothèse que les rumeurs relatives aux comportements déviants de Weinstein soient parvenues aux actionnaires : soit ces derniers n'ont rien fait, ce qui est le plus probable ; soit ce qu'ils ont fait a été inefficace. Dès lors, au-delà du débat juridique qui ne manquera pas d'être alimenté, la question de leur responsabilité est pertinente.

Le site de l' Institut français des administrateurs mentionne que le conseil d'administration « se saisit de toute question intéressant la bonne marche de l'entreprise » et, plus loin, qu' « il  a un rôle déterminant dans la prévention des risques ». Tout le monde en conviendra : c'est le comportement même des dirigeants qui leur permet de réussir ou qui, parfois, les conduit à l'échec. Leurs comportements déviants, exemples ultimes, font courir un risque évident à l'entreprise. Mais les dirigeants peuvent aussi occasionner d'autres dysfonctionnements. Ainsi, celui qui ne sait pas faire travailler en équipe ses collaborateurs directs ou tel autre qui a de grandes difficultés relationnelles interpersonnelles, continue son chemin sans que personne ne s'interroge quant aux marges de progrès qui amélioreraient sa performance. Or, lorsqu'il s'agit du patron, personne d'autre que les membres du conseil d'administration n'a l'autorité de se faire entendre. Dès lors, pourquoi, la plupart du temps, ne le font-ils pas ?

L'une des hypothèses est que plus les acteurs se situent en haut de l'échelle hiérarchique, plus l'intensité des « feedbacks » s'amoindrit. Derrière une convivialité apparente, le jugement est binaire : soit le dirigeant doit partir, soit il reste et les remarques qui le concernent portent exclusivement sur la stratégie ou l'organisation de l'entreprise mais jamais, sauf scandale public, sur sa personne ou son attitude. Les conseils d'administration préservent ainsi l'entreprise de la crise que provoquerait le remplacement du boss, préférant attendre son échec patent et le sanctionner sur le critère des performances.

Et après ?

L'un des enjeux des gouvernances modernes est de ne laisser ni d'espaces flous ni de non-dits. Par essence, le pouvoir conforte les acteurs dans leurs comportements, voire les autorise à déraper. Comme les comportements des dirigeants sont cruciaux pour la bonne marche de l'entreprise, il faut pouvoir en parler. Il est donc recommandé aux conseils d'administration d'étendre leur regard au-delà des chiffres et du business. Et d'apprendre à observer et surtout à parler du mode de management des dirigeants et de leur exemplarité sans que cela paraisse intrusif ou déplacé. Cela suppose que les membres du conseil d'administration, eux-mêmes, acceptent de changer leur état d'esprit et leurs comportements.