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La délégation horizontale - Eric Albert - Les Echos

A la sortie du groupe de travail consacré à l'orientation client, la dirigeante qui l'animait sort découragée. Elle réfléchit avec des pairs aux actions à mener pour donner envie à l'ensemble des acteurs de l'entreprise de prendre plus en compte les aspirations des clients. Pour passer de l'intention à l'action, elle a proposé à chacun des participants d'avoir un tableau de suivi des actions qu'ils allaient mettre en oeuvre. Mais ceux-ci ont mal réagi, lui faisant comprendre qu'elle n'était pas leur chef.

Cette situation est banale. L'entreprise se veut plus horizontale et favoriser les groupes projets transversaux mais les mentalités n'ont pas suivi. Ainsi, le jeu entre les entités qui consiste à considérer que ce qui a été fait ailleurs n'est pas pertinent pour elles, est fréquent. Mais aussi, laisser des pairs décider de sujets transversaux sans être présent aux réunions pour « contrôler » ce qui s'y passe est rarement accepté. Pire encore, c'est parfois la culture du conflit interne qui règne. Or le modèle de l'entreprise tend de plus en plus à limiter la logique du silo et de la verticalité pour pousser la collaboration transversale. Celle-ci, lorsqu'elle fonctionne bien, est très créatrice de valeur car elle fluidifie la mise en oeuvre en prenant en compte toutes les dimensions et elle stimule la créativité en combinant les compétences. Mais dans la plupart des entreprises, ce passage a du mal à se faire pour deux raisons. La première est la quête d'autonomie. Chacun a vérifié que plus on le laisse libre plus il est efficace, or la transversalité est une contrainte. La seconde est la relation au pouvoir. J'accepte des ordres de mon chef mais pas des autres. Ces deux principes de fonctionnement ont prouvé leur efficacité dans des environnements où ce qui est à réaliser est simple et suppose la maîtrise de quelques compétences. Mais nous sommes dans l'ère de la complexité.

C'est parce que l'autonomie et la simplicité de la ligne hiérarchique ont été les principes qui ont fait réussir beaucoup de dirigeants et leur ont permis d'accéder à des niveaux élevés qu'ils y restent attachés malgré le changement de paradigme. Le pouvoir se partage autant de façon horizontale que verticale. Chacun délègue à ses pairs une partie de la responsabilité qui touche son propre champ. Ce qui le conduit à prendre des décisions qui impactent les autres. Cela suppose plus d'échanges et d'explications du rationnel de ceux qui décident mais aussi plus de discipline dans la mise en oeuvre.

Et après ?

Cette nouvelle interdépendance est beaucoup plus exigeante sur le plan comportemental, notamment dans l'expression et la gestion des désaccords. Elle change aussi radicalement la relation à ses collaborateurs qui sont encouragés à travailler de façon transversale, et donc d'échapper à l'autorité et au contrôle de leur chef. Il faut adapter le mode d'évaluation de leur performance. La délégation horizontale s'accompagne d'un renouvellement radical de l'autorité. Elle passe du statut à la reconnaissance par les pairs d'un champ de compétences pertinent par rapport à l'objectif recherché. Et ces compétences sont toujours la combinaison de compréhension technique et de capacité à gérer l'humain.