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Inventer une interdépendance efficace - Eric Albert - Les Echos

Une campagne achevée, une autre débute. Les mêmes thèmes reviennent et l'un des plus différenciants est celui de notre relation au reste du monde. D'un côté, tous ceux qui prônent l'indépendance. Ils font l'hypothèse que la frontière protège. Ils supposent qu'elle va produire plus de prospérité. Ce faisant, ils affirment leur profond manque de confiance en eux et dans leur capacité à se confronter à l'extérieur. De l'autre, ceux qui, prenant acte de l'interdépendance du monde dans lequel on se trouve, considèrent que l'enjeu est donc d'en comprendre les règles du jeu et de les utiliser au mieux pour en tirer parti.

La situation est exactement en miroir dans l'entreprise. C'est vrai tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, dans ses interfaces. En interne, toutes les entreprises ont compris que l'enjeu est de sortir des silos, que la créativité vient de la diversité des points de vue, que la transversalité enrichit au propre comme au figuré, que l'isolement enferme, que le fonctionnement par projets éphémères et composés d'équipes idoines sorties des hiérarchies est puissant. Elles construisent des organisations qui favorisent ce fonctionnement et rendent les acteurs interdépendants les uns des autres. Mais les acteurs résistent. Dans ce système complexe avec une multiplicité d'interlocuteurs et d'interfaces, ils réagissent souvent sur un mode conflictuel pour faire respecter à tout prix leur territoire. Dès lors, l'interdépendance devient factice car l'énergie s'épuise dans les frottements entre individus ou entités. D'autres acteurs prennent la posture opposée, plus résignés, ils capitulent et laissent perdurer les contradictions induites par toutes ces interactions. Ils constatent la dispersion et l'absurdité. Ils voient comment chacun agit en fonction de sa logique particulière plus que dans l'intérêt général mais ils se taisent et cherchent à surnager. Il est donc indispensable pour l'entreprise de trouver les modalités d'une interdépendance efficace.

Si le silo est géré sur un mode hiérarchique, l'interdépendance repose avant tout sur des relations entre pairs. Le premier, pensé par le haut, fait exécuter ses ordres ; il rassure car il donne aux acteurs le sentiment de contrôler. En faisant appel à l'intelligence des acteurs tant individuelle que collective, le second nécessite un lâcher-prise. Cela suppose deux conditions indispensables. D'une part, que chacun des acteurs soit clair sur sa propre valeur ajoutée et, d'autre part, sur celle de chacun de ses interlocuteurs. Autrement dit, si, dans le fonctionnement, certains n'ont pas de compétences spécifiques, ils le parasitent. Le chef généraliste qui ne fait que donner des ordres n'a pas vraiment sa place dans le système.

Et après ?

Cela ne peut toutefois fonctionner que si le jeu relationnel est fluide. En commençant par accepter que les points de vue de départ soient par essence différents, puis, en sachant les écouter et les mettre en perspective par rapport à un objectif commun, et enfin, en cherchant le compromis le plus favorable pour atteindre l'objectif. Autrement dit, une relation où les enjeux ne sont ni l'ego ni le pouvoir mais d'usage des compétences. Cette maturité est un cheminement pour chacun. Elle ne vient pas toute seule, il faut l'accompagner. Si l'avenir est à l'interdépendance, il faut en inventer une pratique harmonieuse.