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Avions de chasse - Eric Albert - Les Echos

Lorsque les patrons parlent des individus qui constituent leur équipe directe, les métaphores fusent. Certains parlent d'avions de chasse, d'autres de Formule 1 (mais curieusement pas de métaphore ferroviaire).

Très vite, ils enchaînent sur leur grande expertise, l'énergie considérable qu'ils mettent à leur tâche et leur capacité à délivrer des résultats. Evidemment, expliquent-ils aussitôt, pas question d'attendre que ces fortes personnalités entrent dans le rang sur le plan comportemental. Avec des individus de ce niveau, on ne peut attendre autre chose que des confrontations fortes. C'est ainsi qu'ils justifient une collaboration très imparfaite entre les entités qu'ils pilotent, voire une exemplarité défaillante. Ils sont taillés pour la compétition, voire la confrontation, comme l'illustre la façon de les comparer. Cette surperformance individuelle prédomine sur toutes les autres dimensions. Les dirigeants qui parlent ainsi de leurs collaborateurs se déchargent. Ils excusent leur propre défaillance en laissant entendre que la performance individuelle est incompatible avec le collectif.

Vision évidemment erronée, construite pour se défausser de ce qu'ils ne savent pas faire ou n'aiment pas faire : du management. Avoir de la personnalité ne signifie pas nécessairement se mettre en confrontation avec son entourage. Mais plus encore, ce qui est en filigrane, c'est un modèle de la réussite et de l'exercice du pouvoir. La réussite est issue d'une longue confrontation avec ses pairs dont on sort victorieux. Ce qui permet de prendre le pouvoir. Il s'agit ensuite de s'y maintenir à tout prix, et pour cela de l'exercer de façon solitaire. Car on ne se méfie jamais suffisamment de son entourage qui, par définition, cherche à vous le dérober. Pas de grande surprise à ce que les mêmes se plaignent du fonctionnement en silos. Il est acté que les dirigeants ne seront jamais une équipe mais des défenseurs de leur territoire. Ce qui n'empêche pas de tenir des discours sur le sens du collectif et l'importance de collaborer.

 

ET APRÈS ? Aujourd'hui, le cœur de l'efficacité réside dans la capacité des acteurs à coopérer. L'individu qui surperforme de façon solitaire ou pour son entité est un danger pour l'ensemble. A force d'être en compétition interne, il finit par se tromper de cible. L'énergie dépensée dans les tensions interindividuelles est disproportionnée par rapport à celle passée à se battre contre la concurrence. L'intelligence, la compétence, l'excellence ne dispensent en rien des compétences comportementales qui permettent de collaborer de façon efficace. Non seulement le dirigeant doit l'affirmer, mais il doit montrer à son organisation qu'il ne tolère pas de contre-exemple à ce principe. Ceux qui obtiennent d'excellents résultats individuels aux dépens des autres ne peuvent être érigés en modèle. Plus encore, l'exercice du pouvoir doit, lui aussi, se faire de façon collégiale. Chacun des acteurs invités à y participer doit avoir toujours en perspective l'intérêt général. Le dirigeant du XXIe siècle partage son pouvoir et il fait en sorte que ses collaborateurs directs fassent de même. Car cette dynamique collective est la meilleure garantie d'une performance durable pour l'entreprise.